Christine de Pisan

Christine de Pisan

mardi 7 juillet 2015

GPA : témoignage d'une adoptée

  

http://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-ne-faut-pas-estimer-sentiment-abandon-que-gpa-genererait-chez-enfants-temoignage-enfant-adoptee-2200061.html

  

 

 

Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance


         Quand on n’a que l’amour et qu’on ne peut pas avoir d’enfant, on est autorisé, aujourd’hui, à en programmer un qui sera arraché à sa mère dès la naissance. Tout se passera bien pour cet enfant, on lui expliquera tout : ton papa et ta maman, ou tes deux mamans, ou tes deux papas, ne pouvaient pas te concevoir. Alors ils ont loué une dame très gentille qui avait des enfants et ils sont  allés te chercher très loin pour te ramener chez eux. Quand on n’a que l’amour… Et puis le petit bébé va grandir, il va demander qui est sa maman, et réaliser qu’il a deux ou trois mamans : mais alors qui est ma vraie maman ?
         Alors j’ai été abandonné ? Alors vous m’avez négocié, fabriqué, trié, acheté ? Pas de problème, dites-vous, quand on a que l’amour, on sait expliquer… c’est moi, ta vraie maman : moi qui avait l’intention de t’avoir ! Oui mais, à qui je ressemble ?  Quand on n’a que l’amour…
         Et puis l’adolescent se fait jour et avec lui le temps des questions tortueuses, le temps des frottements, le temps de la construction de l’identité et des remises en cause : Vous n’êtes pas mes vrais parents, je veux ma maman, j’irai la chercher. Quelles sont mes origines ? Je déteste me voir dans la glace, je ne sais pas à qui je ressemble, je me sens mal, pourquoi ? Quelle est cette colère sourde qui gronde en moi sans s’apaise… ? Quand on n’a que l’amour… Mais nous t’avons élevé, nous t’aimons, pourquoi ne vas-tu pas bien mon chéri ? Tu as été choisi parmi les meilleurs, pourquoi n’es-tu pas heureux ? Ah oui, entre la case assurance handicap et le choix de la couleur des yeux, cette case n’était pas prévue dans le contrat de GPA.

         À tous ceux qui parlent de la Gestation Pour Autrui, de ce bonheur d’être né et abandonné par sa mère, à tous ceux-là, il est temps de dire que nous, les adoptés, nous avons une vraie expérience de la situation. Laissez-nous vous dire que nous portons pour toute notre vie cette blessure d’abandon. Nos parents adoptifs nous ont donné une vraie chance de bien redémarrer et c’est un sacré défi pour tous. Comment derrière vos prétoires, Messieurs les juges, comment assis sur vos bancs, Messieurs les Députés, pouvez-vous ne pas réaliser qu’un enfant n’est pas une chose, qu’il a des sentiments et un ressenti de ce qui lui arrive, même tout petit ? Comment pouvez-vous ignorer que nous avons une peur panique de l’abandon et que nous n’aimons pas le changement ? Pourquoi ne pas vouloir entendre que nous sommes marqués par cet arrachement de départ ?
         Mais, nous les adoptés, savons aussi que nos parents adoptifs ne sont pour rien dans ce qui nous est arrivé. Nos parents adoptifs ne nous ont pas soumis à cette blessure. Ils se sont employés à la guérir. Au contraire, ces petits sans voix, nés d’une GPA et arrachés à leur mère, comment pourront-ils exprimer plus tard leur souffrance et leur mal-être, auprès de parents qui ont programmé l’abandon de leur propre enfant ? Nous, enfants adoptés, n’avons pas ce conflit de loyauté qui sera le leur, et leur interdira de dire leur souffrance, allant même jusqu’à les priver de mots pour la penser et se la dire à eux-mêmes.
         Réalisez-vous sérieusement que ces filles arrachées à la naissance à leur mère deviendront un jour elles-mêmes « maman ». Mais le pourront elles seulement, tant leur petite mémoire leur rappellera la souffrance de leur départ dans la vie ? Comment vous faire comprendre cette évidence : nous les enfants nous ne voulons pas être créés pour être abandonnés. Quand on a que l’amour… on n’arrache pas un enfant à sa mère.  

Anne-Claude Venot
Présidente de l’Agence Européenne des Adoptés
Discours du 18 juin 2015 devant le Palais de Justice de Paris

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